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MAE et présomption de protection équivalente : précisions de la CEDH

Pénal - Procédure pénale
30/03/2021
Dans un arrêt rendu le 25 mars 2021, la CEDH précise les conditions d’application de la présomption de protection équivalente dans des litiges relatifs à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.
Deux ressortissants roumains ont saisi la CEDH pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme interdisant les traitements inhumains ou dégradants. Les requêtes portent sur la remise des requérants aux autorités roumaines en exécution de mandats d’arrêts européens (MAE) aux fins d’exécution d’une peine de prison.
 
Le premier, sous contrôle judiciaire, est appréhendé lors d’une présentation au commissariat. Le MAE lui est notifié. Devant la chambre d’instruction, il fait valoir que sa remise ne peut être accordée sans que la chambre n’ait « au préalable sollicité et obtenu des informations complémentaires sur les conditions de sa détention future en Roumanie ». Après réception des éléments d’information, la chambre relève l’absence d’obstacle à sa remise. L’intéressé forme un pourvoi en cassation que la Haute juridiction va rejeter. Il est remis aux autorités roumaines en exécution du MAE.
 
Le second dispose d’un titre de séjour permanent en qualité de réfugié en Suède. Condamné par défaut en Roumanie, il fait l’objet d’un MAE en vue de l’exécution de sa peine. Il est appréhendé à Paris et s’oppose à l’exécution du MAE. Il fait valoir son statut de réfugié et que les « motifs politiques et religieux de sa condamnation en Roumanie constituaient un obstacle absolu à sa remise ». En vain. Il est remis aux autorités judiciaires roumaines, la chambre de l’instruction estimant que les raisons politiques de sa condamnation « étaient de simples allégations ». Elle retient également qu’elle n’avait pas à rechercher si le requérant courait un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en raison des conditions de détention en Roumanie. Et après un pourvoi, la Cour de cassation estime que le statut de réfugié accordé par la Suède ne s’opposait pas à l’exécution d’un MAE.
 
Les deux requérants soutiennent que leur remise aux autorités roumaines entraîne un risque d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants, contraires à la Convention.
 
Dans son arrêt du 25 mars 2021, la Cour européenne retient qu’elle doit vérifier si les conditions d’application de la présomption de protection équivalente sont remplies, à savoir :
- l’absence de manœuvre pour les autorités nationales ;
- le déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’Union européenne.
 
Toutefois cette présomption peut être renversée. Ainsi, l’autorité d’exécution du MAE doit vérifier que celui-ci ne donne pas lieu à une insuffisance manifeste de protection des droits garantis. À défaut, la Cour doit contrôler la manière dont l’autorité judiciaire a procédé pour rechercher s’il existait un risque réel et individualisable de violation. En effet, l’autorité judiciaire d’exécution doit mener un examen actualisé et circonstancié de la situation.
 
S’agissant du premier requérant, la CEDH doit vérifier les conditions d’application de la présomption de protection équivalente. Sur l’absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales, il appartenait à l’autorité judiciaire d’apprécier « la réalité des défaillances systémiques dans l’État membre d’émission (…) puis, le cas échéant, de procéder à un examen concret et précis du risque individuel de traitement inhumain et dégradant ». Si la chambre a considéré qu’il existait des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant risquerait ce traitement, elle aurait dû refuser l’exécution. Néanmoins, pour la Cour, l’autorité judiciaire d’exécution « ne saurait être regardée comme disposant, pour assurer ou refuser l’exécution du MAE, d’une marge de manœuvre autonome de nature à entraîner la non-application de la présomption de protection équivalente ». La seconde condition suppose le déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’Union. La CEDH retient qu’elle doit être considérée comme remplie.
 
Ainsi, « la présomption de protection équivalente trouve à s’appliquer au cas d’espèce ». Existe-t-il une insuffisance manifeste susceptible de renverser cette présomption ? La Cour considère que l’autorité judiciaire d’exécution disposait de bases factuelles « suffisamment solides » pour reconnaître l’existence d’un risque concret et individuel d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 en raison des conditions de détention en Roumanie. La CEDH « en déduit, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'existence d'une insuffisance manifeste de protection des droits fondamentaux de nature à renverser la présomption de protection équivalente ». Elle retient une violation de l’article 3 de la Convention.
 
S’agissant du second requérant, la Cour doit s’intéresser à son statut de réfugié et aux conditions de détention en Roumanie. La CEDH retient que la Cour de cassation a rejeté la demande du requérant visant à saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur les conséquences à tirer sur l’exécution d’un MAE de l’octroi du statut de réfugié par un État membre à un ressortissant d’un État tiers devenu membre. Pour la Cour, la Haute juridiction française a statué « sans que le mécanisme international pertinent de contrôle du respect des droits fondamentaux, en principe équivalent à celui de la Convention, ait pu déployer l’intégralité de ses potentialités ». La présomption de protection équivalente ne trouve pas à s’appliquer.
 
Pour la recherche d’un risque réel en cas d’exécution du MAE, la Cour retient qu’aucun élément du dossier instruit par l’autorité judiciaire d’exécution ou des éléments apportés par le requérant n’indique qu’il risquait en cas de remise, d’être persécuté pour des raisons religieuses dans son pays d’origine. Les autorités ont vérifié que la demande d’exécution du MAE n’avait pas été émise dans un but discriminatoire. « Dans ces circonstances particulières, et même si les autorités suédoises n’entendaient pas lever le statut de réfugié du requérant, la Cour estime que l’autorité judiciaire d’exécution, au terme de l’examen approfondi et complet de la situation personnelle de ce dernier auquel elle a procédé et qui manifeste l’attention qu’elle a portée à son statut de réfugié, ne disposait pas de bases factuelles suffisamment solides pour caractériser l’existence d’un risque réel de violation de l’article 3 de la Convention et refuser, pour ce motif, l’exécution du MAE ».
 
Enfin, la Cour estime qu’il n’incombe pas à l’autorité judiciaire d’exécution de demander des informations complémentaires aux autorités roumaines « sur le lieu de détention futur du requérant et sur les conditions et le régime de détention qui lui seraient réservés aux fins d’identifier l’existence d’un risque réel qu’il subisse des traitements inhumains et dégradants en raison de ses conditions de détention ». Dans cette affaire, la CEDH ne retient pas de violation de l’article 3 de la Convention. 
 
 
 
Source : Actualités du droit