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Image  Catherine Millet-Ursin, avocat associé, cabinet Fromont Briens

Catherine Millet-Ursin, avocat associé, Fromont Briens : « Les sommes non soumises à cotisations constituent le montant brut sur lequel l’Urssaf doit calculer le redressement »

Social - Protection sociale
16/10/2020
Dans deux arrêts du 24 septembre dernier, la Cour de cassation casse les jugements de cours d’appel qui avaient validé la position des Urssaf visant à reconstituer en brut des avantages attribués aux salariés pour déterminer l’assiette sur laquelle les cotisations devaient être calculées dans le cadre du redressement. Décryptage de ces deux décisions avec Catherine Millet-Ursin, avocat associé au cabinet Fromont Briens.
 
Liaisons Sociales : En quoi consiste la reconstitution en brut de l’avantage ou encore sa « rebrutalisation » ?
Catherine Millet-Ursin : A l’occasion de contrôles, certaines Urssaf considèrent que les sommes attribuées aux salariés non soumises à cotisations sociales doivent être considérées comme des sommes nettes de charges perçues par les salariés. Dès lors, elles déterminent l’assiette de redressement, en reconstituant en brut le montant de l’avantage pour lui appliquer, les taux de cotisations patronales et salariales.
Cette pratique de la reconstitution en brut est également utilisée dans les entreprises lorsqu’il s’agit de garantir au salarié un montant net : c’est par exemple le cas lors d’absence maladie ou encore, en cas de changement d’employeur et de revendication par le salarié du maintien d’une rémunération nette antérieure.
 
LS : La position de la Cour de cassation est-elle nouvelle ? Cette pratique avait-elle déjà fait l’objet de décisions ?
C. M-U. : Cette position semble nouvelle par l’étendue des avantages concernés et constitue un revirement au regard d’une décision déjà ancienne. Dans un arrêt du 16 septembre 2010 (n°09-10.346, FS-D), la 2ème chambre civile de la Cour de cassation avait dans des circonstances analogues validé la position des juges du fond qui après avoir relevé que les avantages avaient été versés aux salariés nets de cotisation sociales, avaient jugé que l’Urssaf avait à bon droit, à partir de cette base nette, reconstitué une base brute afin d’y appliquer les taux de cotisations en vigueur. Il s’agissait en l’espèce de sommes versées par le comité d’entreprise. Comme dans la présente affaire, l’employeur considérait que l’Urssaf outrepassait ses pouvoirs et allait au-delà de l’application stricte des articles L.242-1 et L.243-1 du code de la sécurité sociale en réévaluant l’avantage devant être soumis à charge.
L’arrêt devant être publié au bulletin, il pourra désormais être opposé aux Urssaf lorsqu’elles retiendront une autre valeur que celle correspondant au versement affiché, à la valeur de l’avantage ou au prix payé par l’entreprise.
 
LS : Quels sont les avantages généralement concernés ?
C. M-U. : Sont en premier lieu visés les cadeaux attribués à l’occasion d’évènements particuliers (départ en retraite, médailles du travail, naissance, mariage, …). Sont également concernées les dettes des salariés ayant quitté l’entreprise : lors de son départ, le solde de tout compte ne permet pas de compenser tout ou partie des sommes dues par le salarié (rares sont les employeurs engageant des actions contentieuses en recouvrement des trop versés). De façon plus générale, seront concernées toutes les sommes non soumises à charges sociales alors qu’elles auraient dû l’être (frais divers insuffisamment ou non justifiés, avantages en nature sous évalués ou oubliés, sommes injustement qualifiées de dommages et intérêts, …).
Dans l’affaire en cause, les sommes dont la « rebrutalisation » était contestée avaient la nature de frais professionnels, de primes diverses, d’acomptes, d’avances, de prêts non récupérés, de rémunérations non déclarées, de cadeaux…
Si pour les avantages en nature, les textes, certaines circulaires ou encore le guide du recouvrement des cotisation sociales et d’allocations familiales publié par l’Acoss se référaient à la valeur réelle de l’avantage pour déterminer l’assiette des cotisations, ce n’était pas le cas pour les avantages en espèce. Sur ce point, la décision rendue est manifestement novatrice.
 
LS : La position retenue constitue-t-elle une fin de non-recevoir pour l’Urssaf ?
C. M-U. : Les termes mêmes de la décision rapportée laissent entrevoir les difficultés auxquelles pourraient être confrontées les entreprises après coup. En constatant que « la société n’avait pas procédé au précompte des cotisations, que la réintégration des avantages devait intervenir pour leur montant brut », elle ne fait que tirer les conséquences de l’absence d’intégration des sommes dans l’assiette des charges sociales. Certes, le montant soumis n’a pas à être « rebrutalisé » donc majoré, pour autant, que décidera l’Urssaf si elle constate que le salarié concerné n’a pas payé les charges salariales qu’il aurait dû assumer ? Doit-on considérer que l’entreprise ayant « oublié » de soumettre à charges doit assumer tant la part patronale que la part salariale des cotisations, auxquelles s’ajouteront les majorations de retard (c’est généralement ce qu’elle fait) ? Ou reviendra-t-on aux discussions d’antan visant lors d’un futur contrôle, à calculer des charges sociales patronales et salariales sur l’avantage accordé au salarié en ne lui demandant pas de s’acquitter de sa quote part de cotisations ? En effet, la jurisprudence admet que la prise en charge par l’employeur de cotisations dues par le salarié doit être soumise à cotisations (par exemple, Cass. soc., 4 avril 1996, n°94-15.497, inédit ; Cass. soc.,18 mars 1999, n°97-19.231, inédit)…. La « rebrutalisation » permettait d’éviter d’exposer les entreprises à un risque de redressement successif….
 
Propos recueillis par J-F. Rio
 
Source : Actualités du droit